Il aura fallu plus de deux ans de pressions et de rivalités en interne pour que Peter Stücki, élu président de l’EBU (Union européenne de boxe) en 2022, accepte de renoncer à ses activités à Swiss Boxing en raison d’un conflit d’intérêt évident. Une situation que le notaire bernois, longtemps président de la commission des professionnels, membre du Conseil et vice-président de la fédération suisse, ne voulait pas voir !
Pour ses opposants, l’action n’a pas été facile à mener. Longtemps considéré comme l’homme fort de la boxe suisse et intouchable, l’influent et austère bernois (78 ans) s’accrochait à ses responsabilités et faisait toujours planer son ombre sur les débats. C’est finalement le médecin genevois Davide Bianchi, membre du Conseil et responsable de la commission médicale, aux compétences reconnues et doté d’une solide expérience, qui a repris son poste au grand soulagement de la partie romande. Celle-ci peut aussi compter sur le Lausannois Amir Orfia, élu nouveau président central en août 2023 lors de l’assemblée extraordinaire des délégués qui a voté, contre l’avis du Conseil, pour le retour de Swiss Boxing au sein de l’IBA (fédération internationale des amateurs) !
Un putsch qui a marqué les esprits et qui témoigne du fossé qui s’est creusé désormais entre la base active et la direction de la fédération, déconnectée de la réalité des clubs suisses. Trop de fonctionnaires omnipotents et sans beaucoup d’expérience, voire de compétences, à l’écart des milieux pugilistiques et de la compétition, notamment au niveau international. Beaucoup d’entre eux n’ont aucune idée de l’histoire de leur sport et ignorent que la FSB a été créée à Genève, en 1913 ! Sans parler de la connaissance qu’ils ont de la technique de la boxe et de la gestion des combats, car beaucoup n’ont jamais pratiqué et manquent de références.
Les métastases de l’incompétence
Trop d’arrogance aussi, et de mépris vis-à-vis des boxeurs. Ceux-ci subissent trop souvent, sans pouvoir contester, des verdicts iniques et controversés qui les pénalisent à tort et les découragent, selon de nombreux responsables de clubs. Une situation déplorable, qui découle d’un grave problème de formation et de compétence des juges et arbitres, lequel se répand au sein de la fédération comme des métastases dans un organisme malade et affaibli. Recrutés en urgence pour faire face à l’augmentation des meetings, formés sommairement, soumis aux excessives règles de sécurité et de santé pronées par Fabian Guggenheim, qui règne sur eux comme un patron tout puissant, ceux-ci ne se remettent jamais en question. Ils appliquent les consignes à la lettre, comme des officiels zélés, avec des conséquences pénalisantes et négatives pour les boxeurs suisses, notamment lorsqu’ils vont combattre à l’étranger.
Jadis la FSB s’appuyait principalement sur l’expérience d’anciens boxeurs reconnus et appréciés pour diriger les combats et délivrer les verdicts. Ce n’est plus forcément le cas aujourd’hui, comme auparavant avec les Robi Seidel, Franz Sutter et Franz Marti (années 1950 à 1980), puis avec Beat Hausamann et Thomas Zimmermann (1990-2020). Actuellement fait exception l’ex-pro fribourgeois Bertrand Bossel, qui est l’un de nos meilleurs juges/arbitres en activité.
Toutefois, la mainmise de Fabian Guggenheim, président de la commission des juges/arbitres et présent dans toutes les commissions, où il tire les ficèlles à tous les niveaux (Conseil, commission technique, finances, éthique, sélection et sport de masse) ne contribue pas à apaiser les esprits. Pratiquement toutes les décisions, tous les dossiers passent par ce fonctionnaire autocratique, ce qui lui octroie une importance démesurée et crée un malaise au sein des clubs. Des deux côtés de la Sarine, l’insatisfaction est générale à cause d’un manque de transparence et en raison de décisions prises souvent sans consultation. Comme en 2023, lorsque le Conseil avait décidé quasi à l’unanimité de quitter l’IBA sans en référer aux clubs, ce qui avait produit un coup d’Etat avec retournement de situation et démission du président Andreas Anderegg !
La boxe suisse absente des JO depuis Munich en 1972!
Malgré la nouvelle génération et les talents qu’elle recèle, malgré l’augmentation du nombre de licenciés et le regain d’intérêt que la boxe suisse suscite depuis quelque temps, celle-ci est tombée depuis plusieurs années au niveau 4 sur 5 dans le classement de Swiss Olympic, qui tient compte notamment de la médiatisation, du nombre de pratiquants, y compris parmi la population, et des résultats dans les tournois internationaux. Une chute catastrophique, qui diminue fortement la subvention annuelle allouée à Swiss Boxing et impacte négativement l’activité des responsables nationaux Christina Nigg (sport d’élite) et Federico Beresini (entraîneur et coach), tous deux salariés. Un bilan douloureux qui traduit parfaitement les difficultés (pas seulement financières) que traverse la fédération, focalisée sur la boxe olympique, mais qui n’a plus été représentée aux JO depuis Munich, en 1972 !
Autre constat regrettable : le manque total de structure et de soutien pour les quelque quarante boxeurs professionnels affiliés à Swiss Boxing sans qu’on trouve sur le site internet de la fédération la moindre trace biographique les concernant ! A quoi sert donc la commission de boxe professionnelle, si ce n’est qu’à délivrer les licences et les autorisations, et surtout à encaisser les taxes sur le dos des boxeurs et des organisateurs ? Cela nuit au développement de la boxe pro en Suisse, alors qu’elle est le sommet de la pyramide et la vitrine du sport pugilistique partout dans le monde. Pour ignorer cette évidence depuis des décennies, les dirigeants et responsables de Swiss Boxing sont à l’origine du retrait du public et surtout de l’abandon généralisé des médias depuis vingt ans.
Comment ne pas s’inquiéter devant cette situation, et surtout ce malaise qui ne cesse d’enfler au fil du temps. Et malgré les efforts du nouveau président Amir Orfia pour remettre de l’ordre dans la maison. Aura-t-il gain de cause pour solutionner tous les problèmes en souffrance face à une opposition alémanique orchestrée par ceux qui voient d’un mauvais œil tout changement en profondeur, et surtout la perte ou la limitation de leurs privilèges au sein de Swiss Boxing ? Un sacré défi pour le jeune élu romand qui s’attaque avec son enthousiasme et ses connaissances à des dinosaures peu enclins à céder devant un nouveau venu aux idées novatrices.
Dernier coup de théâtre : le courrier envoyé le 23.7.2024 aux délégués par Jack Schmidli (vice-président et responsable de la commission des professionnels) et Fabian Guggenheim pour avancer au 31 août, à Glattbrugg/ZH, et en pleine période de vacances, l’assemblée générale extraordinaire prévue le 2 novembre prochain à Ittigen/BE. Et cela au grand dam du président Amir Orfia ! Une initiative prise par le Conseil, à majorité alémanique, afin de régler une nouvelle fois le problème de l’IBA et de pousser à rejoindre World Boxing, la nouvelle fédération internationale que le CIO a imposée pour combattre les dysfonctionnements de l’IBA. Celui-ci fait pression sur les CNO (comités nationaux olympiques) pour s’y affilier afin de maintenir la boxe au programme des prochains JO 2028, à Los Angeles. Une décision lourde de conséquences pour la boxe amateur qui cherche à assurer son avenir dans la jungle des rivalités et des conflits actuels entre les puissants organismes internationaux.
Confusion autour de l’IBA et de World Boxing
Cette situation de crise crée le chaos, car seules une quarantaine de fédérations nationales (sur 198 pays des 5 continents) ont adhéré à World Boxing à l’heure actuelle. Cela met les entraîneurs de clubs dans la confusion la plus totale, sans aucune garantie concernant les compétitions à venir sur le plan international (championnats d’Europe et du monde élite, espoirs et juniors) ! Ceux-ci exigent désormais une clarification et des réponses précises de Swiss Boxing, mais aucun dirigeant actuel n’est en mesure de les leur fournir.
Suite à l’assemblée de Glattbrugg, les délégués de Swiss Boxing (89 présents avec procurations représentant les 155 clubs, soit 126 votes pour et 9 abstentions, selon le PV) ont accepté pour la seconde fois de quitter avec effet immédiat la controversée IBA et de demander l’affiliation à la nouvelle fédération World Boxing, censée désormais régir la boxe amateur au niveau mondial. Mais selon des indiscrétions, celle-ci bloque les candidatures trois mois avant son congrès annuel, et Swiss Boxing devra attendre novembre 2025 pour être acceptée, à condition, de plus, de procéder à de nouvelles élections ! ce qui peut mettre en danger, lors de la prochaine AG en avril 2025, le poste du président actuel Amir Orfia par rapport à son ambitieux concurrent thurgovien Markus Scheffer, soutenu par l’influente majorité alémanique. Il s’agit d’une ingérence insupportable et scandaleuse dans les affaires internes des fédérations nationales, qui fait douter de l’intégrité et de l’image que veulent donner de la boxe amateur les nouveaux dirigeants de World Boxing. Affaire à suivre…
- Bertrand Duboux, journaliste
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